
De droite, parce que « je révère l’égalité, mais, quand il faut choisir, je choisis la liberté. » Membre des Républicains, mais « souvent un peu marginal dans mon parti, plus libéral, plus européen, plus ouvert sur les questions de société ». Français de père arménien, avocat, ancien ministre, député et président du Conseil départemental des Hauts-de-Seine depuis 2007, c’est en fine plume et en observateur acéré du jeu politique que Patrick Devedjian signe désormais régulièrement son bloc-notes dans l’Opinion.
Voilà ce que c’est que de jouer sans arrêt avec la boîte de Pandore de la déchéance de nationalité : nous en sommes à un débat oiseux qui avait déjà été engagé avec le ministère de l’Identité nationale en 2007 et réactivé avec la tentative de révision constitutionnelle de 2015. Quand on sait qu’un Français sur quatre a au moins un grand’parent de nationalité étrangère, on comprend que les sensibilités sont exacerbées et la cohésion nationale mise en cause.
Loin des philosophes, on en arrive presque à vouloir définir ce que devrait être un bon Français ! Evidemment moi aussi, « ça m’interpelle », comme on dit.
Suis-je intégré ou assimilé ? Suis-je heureux ou malheureux dans mon identité ? Et d’abord quelle est-elle ?
Je suis né à Fontainebleau d’une mère française de Boulogne-sur-Mer et d’un père apatride venu de Constantinople.
Je sais d’où je viens et je n’ai rien oublié, mais je sais aussi où je suis et j’y suis bien. La France a été bonne pour ma famille et je lui en suis reconnaissant.
Arrogance
Pourtant, comme beaucoup de Français, mon pays m’agace souvent par son arrogance, sa légèreté et sa capacité de gâcher ses dons exceptionnels. J’aime aussi l’Italie, mère des arts, et je me sens proche de ces immigrés d’Orient, chassés une fois de plus par la guerre et l’intolérance. Est-ce grave docteur ?
La littérature française est un bijou de haute précision, encore fabriquée par des étrangers venus du monde entier et qui y impriment quelques traces de leurs origines. Je pense à Kundera, Cioran, Kadaré, Maalouf, Cheng, Heine, Milosz et j’en oublie. Cioran qui demande : « Y a-t-il eu au monde un pays ayant eu autant de patriotes issus d’un autre sang et d’autres coutumes ? » Venez au Mont-Valérien, voir la cloche des fusillés si vous avez un doute. Des étrangers « et nos frères pourtant qui crièrent la France en s’abattant » dit Aragon. Avec leur accent impossible, ils étaient intégrés ou assimilés ?
La France républicaine, c’est le pacte social de gens différents qui ont décidé de continuer à vivre ensemble malgré les histoires différentes qui les ont marquées.
Les juifs, dont la présence est attestée en France depuis le Moyen-Age, sont structurés par un antisémitisme millénaire et par la Shoah. Les protestants n’oublient pas la Saint-Barthélemy et les dragonnades. Les Antillais restent déchirés par l’esclavage, comme Aimé Césaire l’a si bien exprimé, et Henri Salvador a moqué les raccourcis historiques en chantant « Nos ancêtres les Gaulois ». Les Bretons, eux, se réfèrent plus volontiers aux Celtes qu’aux Gaulois. Les Basques et leur langue agglutinante n’ont rien à voir avec la Gaule, dont Nice et la Savoie n’ont jamais entendu parler avant 1860.
Dimension idéologique
La carte nationale d’identité ne rend pas compte de tout cela – et c’est tant mieux – mais il est abusif de vouloir plaquer une identité formatée, uniforme et en fait à dimension idéologique. En Turquie, les kémalistes ont voulu faire croire que leur nation, venue d’Asie centrale, descendait des Hittites, présents 2 500 ans avant leur arrivée. On en rit encore.
Renan avait raison, « une nation, c’est une âme ». Mais cela signifie qu’une identité collective est nécessairement ambiguë. Elle n’est pas l’addition des identités individuelles, elle est un héritage hétéroclite.
C’est qu’il est long et douloureux, le chemin de l’intégration, même s’il conduit à destination et beaucoup mieux qu’on ne le dit. Quant à l’assimilation, elle finit toujours par arriver mais après encore plus de temps, elle est affaire de générations… et aussi d’amnésie. Un arbuste transplanté met plusieurs années à retrouver son plein épanouissement.
La découverte de l’ADN et son utilisation à des fins identitaires comme la recherche de paternité, ont renforcé en l’homme son besoin d’individualité que nos religions ont installé depuis longtemps dans leur mental. La mondialisation bouleverse les structures traditionnelles et nous fait craindre de vivre de plus en plus comme des fourmis. Comme les espèces rares chez les animaux que l’écologie veut protéger pour leur diversité, les hommes ont besoin de précautions.
L’identité est donc un bien individuel qui ne saurait être nationalisé par l’Etat.
Le nationalisme promu par la Révolution a provoqué les plus grandes hécatombes de l’humanité et il est toujours là. Je n’aime pas le dicton anglais qui dit « right or wrong, my country ». L’Allemagne ne pourrait l’employer même si elle se dit « über alles ». Et nous pas davantage avec, notamment, la rafle du Vel d’Hiv que Jacques Chirac a eu tellement raison d’assumer en exprimant notre honte.
Ces débats sont des placebos sur les peurs et ils sont sans effet sur les difficultés qui nous assaillent : l’immigration accélérée et incontrôlable due aux guerres extérieures et aux dictatures violentes, mais aussi aux mutations technologiques qui caractérisent la mondialisation et nous laissent désarmés.
Le terrorisme s’infiltre dans ce désordre et s’efforce de saper les fondements moraux de nos sociétés civilisées comme autrefois la barbarie.
Politique contradictoire
L’Europe se dispute et se délite tandis que des mouvements migratoires massifs s’accumulent en provenance à la fois de l’Orient et de l’Afrique. Notre politique étrangère est le plus souvent contradictoire et incohérente et nos gouvernements nationaux refusent de répondre avec les moyens d’une Europe qui regarde ailleurs.
Que faut-il faire ? D’abord regarder un peu plus loin que le bout de notre nez, obsédés d’actualité et de faits divers que nous sommes. La France ne peut pas résoudre toute seule les questions vitales qui remettent en cause son rôle, ses méthodes et sa manière de vivre. Elle est un morceau de l’Europe comme disait Braudel. Sa géographie et son histoire la rendent capable d’en exprimer la synthèse, précisément parce qu’elle a accueilli tant de peuples en son sein. Dans ce débat de la primaire, il y a bien peu de place pour une ambition européenne. Telle est ma frustration en ce moment.
(les intertitres sont de la rédaction de L'Opinion)