
Patrick Devedjian a toujours été un homme libre. France, droite, libéralisme, état d’urgence… celui qui quittera l’Assemblée nationale l’an prochain dit ce qu’il pense. Président (LR) du conseil départemental des Hauts-de-Seine, il explique les raisons de son choix audacieux de le fusionner avec celui des Yvelines, présidé par Pierre Bédier.
« Ce qui me choque, c’est que nous ne sortirons de l’état d’urgence que lorsque les mesures qui le définissent seront passées dans le droit commun »
Quelle est la nature de la crise que la France traverse actuellement?
Les Français n’ont fondamentalement pas confiance en eux. A partir de là, ils ont été décérébrés par le système présidentiel de plus en plus centralisé. Cela les a habitués à tout attendre du président de la République, alors qu’ils ne devraient attendre leur bonheur de personne d’autre que d’eux-mêmes.
La faute première du politique est-elle d’avoir entretenu ce modèle finissant plutôt que d’en avoir imaginé un autre ?
Le politique est responsable d’un excès de centralisation qui a profondément fragilisé les fonctions régaliennes de l’Etat. Voyez la dimension prise par l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou le barrage de Sivens. Ces sujets auraient dû rester purement locaux sans fragiliser le pouvoir central. C’est le contraire qui s’est passé car nous sommes entrés dans un système où le président de la République est responsable d’absolument tout. Résultat, un an après son élection, il devient forcément impopulaire et sa réélection hypothétique.
Et le quinquennat a encore aggravé un peu plus cela...
Ce qui a surtout aggravé les choses, c’est la succession de l’élection présidentielle et des élections législatives. Cela a transformé le Parlement en chambre d’enregistrement, suscitant en même temps la révolte des parlementaires eux-mêmes. L’opinion ignore trop souvent que ce n’est pas le Parlement qui fait la loi, mais la haute administration. Mon espoir est que le mandat unique des parlementaires - s’ils ne le cumulent pas avec une profession ! – leur donnera la disponibilité de participer à la reconquête de leur pouvoir naturel. C’est pourquoi je pense que revenir sur le non-cumul comme le proposent certains candidats à la primaire est une erreur.
Comment sortir de cette crise qui n’en finit pas ?
En ayant une vraie politique de croissance qui consiste à favoriser l’investissement et non pas à le pénaliser. Avec la croissance, les Français retrouveront le moral et cela permettra d’opérer plus facilement les réformes indispensables.
Quelle est la responsabilité particulière de François Hollande dans cette situation ?
L’excès fiscal et le message international terrible qui en a résulté. Ensuite, une majorité qu’il maîtrise mal. Enfin, une difficulté à prendre des décisions nécessaires.
« Il manque encore à la droite la vision de son propre rôle dans la société française. La droite ne sait pas toujours ce que sont ses valeurs. Souvent elle n’a fait qu’emprunter le projet de la social-démocratie. Très longtemps, la droite n’a en fait été que la non gauche. »
Faites-vous partie de ceux qui pensent que la social-démocratie va disparaître ?
Elle a surtout tout envahi, non seulement la gauche, mais aussi la droite ! Aujourd’hui, elle est arrivée au bout de son propre succès : le contrôle social a atteint des dimensions qui font qu’aujourd’hui dire « Vive la liberté » est presque un cri révolutionnaire.
La droite est-elle prête à exercer à nouveau le pouvoir ?
Elle n’en donne pas tous les jours le sentiment. Il lui manque encore la vision de son propre rôle dans la société française. La droite ne sait pas toujours ce que sont ses valeurs. Elle a du mal à définir son propre projet. Souvent elle n’a fait qu’emprunter le projet de la social-démocratie. Très longtemps, la droite n’a en fait été que la non gauche.
Que devrait-elle être selon vous ?
La valeur première de la droite, c’est la liberté individuelle, dans un pays et dans un monde où elle ne cesse de rétrécir. Ensuite, elle devrait avoir une ambition claire pour son pays, mais aussi, j’ai envie de dire, pour l’Europe. Les dirigeants politiques français n’ont toujours voulu qu’une Europe a minima car ils avaient le sentiment que celle-ci les dépossédait de leur pouvoir. Dans le fond, c’est le reproche principal que je fais à la classe politique française : être plus obsédée de pouvoir que d’ambition.
Son virage libéral est-il sincère ?
Le problème est que la droite est tellement opportuniste qu’on est toujours obligé de se méfier de son discours ! Et s’agissant plus particulièrement du libéralisme, je me méfie des hémiplégiques. Etre libéral, c’est l’être en politique, en économie, dans le domaine social ou socio-culturel. Tocqueville, Constant, Guizot, tous les libéraux du XIXe siècle, n’étaient pas hémiplégiques eux !
Sur quoi se jouera la primaire de la droite ?
Le changement, comme toujours. De ce point de vue là, la candidature soudaine de François Hollande peut avoir des effets dévastateurs ailleurs qu’à gauche…
Avez-vous fait votre choix pour la primaire ?
Pas encore. Mais nous sommes d’accord Pierre Bédier et moi pour soutenir le même candidat. Nous défendons aujourd’hui ensemble un projet de fusion de deux départements que nous pensons préfigurateur d’une France modernisée et qui est, selon nous, une solution nouvelle au sein d’un espace métropolitain où la confusion a atteint des sommets. Nous choisirons donc le candidat qui fera en la matière des propositions en adéquation avec notre dessein.
Nous sommes toujours en état d’urgence. Cela vous choque ?
Oui. Mais ce qui me choque encore plus, c’est que nous n’en sortirons que lorsque les mesures qui le définissent seront passées dans le droit commun. Les terroristes s’attaquent à notre société car elle est une société de liberté. Mais si nous réduisons nos libertés, nous les encourageons. Nous venons déjà d’atteindre le sommet avec la nouvelle loi antiterroriste qui permet de faire figurer sans aucun contrôle juridictionnel des suspects dans des fichiers qui justifient tout.
Vous êtes inquiet ?
Grandement car tous les jours, la gauche et la droite se livrent à une surenchère pour contrôler notre société et restreindre nos libertés. Elles ne comprennent pas que ce combat est vain car le terrorisme se combat d’abord au Proche-Orient et en cessant d’entretenir les meilleurs rapports avec des pays qui le soutiennent. Cessons de feindre de ne pas le savoir !
L’Europe se remettra-t-elle du Brexit ?
Oui ! La question, c’est l’Angleterre s’en remettra-t-elle ? Je dis bien l’Angleterre car le Royaume-Uni, lui, ne s’en remettra pas. L’Union européenne a senti le vent du boulet. A elle désormais de se relancer. Les Anglais ont tiré les premiers. Mais les Français ont gagné à Fontenoy…
L’éventuelle élection de Donald Trump vous inquiète-t-elle ?
Ce qui m’inquiète, c’est la poussée mondiale du populisme, qui n’épargne même plus les Etats-Unis, pourtant démocratie si efficace. L’Angleterre vient de connaître un phénomène similaire avec le Brexit. En Europe, les exemples se multiplient… Les politiques ont évidemment une grande responsabilité dans la montée de ce populisme. Mais les médias aussi, qui souvent pour des raisons commerciales, sont complaisants.
« A terme, il est raisonnable d’imaginer une France à cinquante départements. Si on y ajoute la fusion de communes par milliers, ce nouveau schéma permettra de simplifier les structures administratives que l’Etat n’a cessé de multiplier. »
Sous votre impulsion, le conseil départemental des Hauts-de-Seine fusionne avec celui des Yvelines. Comment cette nouvelle entité trouvera-t-elle sa place entre la Région Ile-de-France et le Grand Paris ?
Je pense d’abord que l’action des départements, qui est consubstantielle à la fondation de la République, est incontournable, de même que celle des communes, en raison de leur proximité avec la population. Le département comme la commune, en raison notamment du système électoral, ont des élus en contact avec elle. Ni la Région et encore moins la métropole du Grand Paris ou les innombrables structures de l’Etat ne peuvent rivaliser avec cette légitimité. La fusion que les Hauts-de-Seine et les Yvelines opèrent est destinée à moderniser une institution qui a été dessinée à partir de la règle du périmètre du gendarme à cheval. Même si elle augmentera sa taille et ses moyens d’action, elle demeurera à proximité de la population.
Ce n’est donc pas qu’affaire d’économies ?
C’est d’abord une affaire d’ambition. Notre fusion va rendre possible des projets d’amélioration de la vie de nos concitoyens et de développement de nos territoires beaucoup plus ambitieux.
Vous espérez faire école ?
Bien sûr. Nous espérons que notre succès inspirera d’autres. A terme, il est raisonnable d’imaginer une France à cinquante départements. Si on y ajoute la fusion de communes par milliers, ce nouveau schéma permettra de simplifier les structures administratives que l’Etat n’a cessé de multiplier. En Ile-de-France, il y avait trois structures locales avant 2012 (commune, département, région). Le pouvoir socialiste en a créé deux supplémentaires : le Grand Paris et les intercommunalités. Et en plus, de manière très nuisible, elle a créé des centaines de structures étatiques nouvelles, comme l’a révélé l’Inspection générale des Finances. La France est la seule démocratie au monde à avoir un système préfectoral qui encadre lourdement les collectivités locales et dont le coût est particulièrement élevé. Il y a là du côté de l’Etat une grande voie de réduction de la dépense publique, qui suppose de faire confiance aux collectivités locales.
Patrick Devedjian, 71 ans, est président du conseil départemental des Hauts-de-Seine depuis 2007. Elu pour la première fois à l’Assemblée nationale en 1986, il quittera son mandat de député Les Républicains l’année prochaine. Ancien avocat, il a aussi été ministre des Libertés locales, de l’Industrie et de la Relance.